La connaissance précise de l’intensité exacte à laquelle on effectue une séance donnée constitue l’un des enjeux de l’entraînement moderne, et sans doute l’un des facteurs de progression les mieux identifiés. La mesure de la fréquence cardiaque est perçue comme le moyen d’accéder à cette connaissance. Une récente étude confirme ce que nous pressentions. Comme n’importe quelle autre approche elle comporte une marge d’erreur !
« JE COURS A 160 » :
Les physiologistes de l’exercice ont constaté, depuis une quarantaine d’années, que tant qu’on n’évolue pas à un niveau d’effort proche du maxima, il existe une étroite relation entre l’intensité de l’exercice et la fréquence cardiaque mesurée de manière instantanée. Par « instantanée », on entend que les premières études établissant cette corrélation intégraient des paliers assez brefs (2 à 6 mn), mais ne permettaient pas forcément de découvrir une éventuelle modification de cette relation au bout d’un temps d’effort plus long. Mais on considérait qu’il n’y avait aucune raison que cette relation se détériore au-delà de 10 mn. La popularisation de ces premiers travaux a conduit à ce que le peloton prenne comme un fait admis qu’une allure donnée correspondait précisément (à un ou deux battements près) à une fréquence cardiaque précise, au point de voir fleurir, dans le courant des années 90, des plans proposant des séances codifiées par rapport à la fréquence cardiaque… ce qui a évidemment conduit à un essor phénoménal du marché des cardio-fréquencemètres.
Dès 1990, par exemple, l’équipe du Pr Banister a proposé un monitorage de l’effort sur la base du recueil en continue de la fréquence cardiaque à l’effort (*). Ce faisant, l’athlète entre dans une forme de déresponsabilisation, ne jugeant plus forcément utile de tenir compte de ses sensations, pour s’en remettre essentiellement à un appareillage qui déciderait à sa place de la pénibilité réelle de l’effort fourni. L’une des conséquences cocasses de cette façon d’aborder l’entraînement se retrouve aujourd’hui chez des athlètes élaborant eux-mêmes leurs programmes, ou s’inspirant de ceux qui circulent dans une certaine presse ou sur internet, et dans lesquels les séances sont exclusivement exprimées en FC. J’ai récemment rencontré un coureur qui m’a expliqué qu’il effectuait toutes ses séances au seuil à 160, ce à quoi je lui ai répondu qu’à cette allure, même sur autoroute, il risquait de se voir retirer des points à son permis !
Plus sérieusement, la fréquence cardiaque constitue un indicateur parmi d’autres, mais assurément pas le seul, qui revête une signification quand on cherche à apprécier l’impact d’une séance donnée. De plus, dans certaines circonstances que nous allons détailler, la relation linéaire qui semble corréler l’intensité d’effort à la fréquence cardiaque se modifie et n’est plus juste. Comment ceci survient-il donc ?
- La première source d’erreur résulte de ce qu’on nomme la « dérive cardiaque » ; ce mécanisme normal survient lorsqu’un exercice se prolonge, par exemple au cours d’une séance au seuil ou d’une compétition de 10 km. L’implication croissante du système nerveux sympathique dans ce contexte (s’inscrivant dans un registre d’adaptation au stress), provoque une élévation progressive de la fréquence cardiaque, qui peut conduire à sortir des bornes qui délimitent, en théorie, l’intensité cible. Une mauvaise inspiration serait alors de ralentir pour rester dans cette plage de fréquence cardiaque. C’est au contraire dans ce contexte que la bonne intégration des sensations caractéristiques du passage dans le secteur « lactique » permet de gérer cet effort, et de composer avec cette dérive sans exploser.
Evolution de la fréquence cardiaque avec la
vitesse de course aérobie chez un coureur
entraîné comparativement à une sportive peu
entraînée (le même type d’évolution est
repéré mais dans une moindre proportion,
chez un même sportif, avant et après une
période d’entraînement).
(source www.volodalen.com)
- Le second facteur de confusion est lié aux fortes températures extérieures. Cette contrainte thermique constitue un stress, à l’origine d’une mise en jeu accrue du système nerveux sympathique,ce qui donne lieu, comme dans le cas précédent, à une dérive cardiaque assez visible. De plus, dans ce contexte, l’organisme augmente l’afflux sanguin au niveau cutané, ce qui pourrait provoquer une diminution de l’irrigation des muscles, sauf si le cœur accélère son rythme pour compenser ce détournement du sang vers la peau.
- Le troisième facteur susceptible de fausser cette relation est la déshydratation. Lorsque celle-ci représente au moins 2% du poids corporel, elle s’accompagne d’une diminution du volume plasmatique. Ce phénomène complique la propulsion des globules rouges vers les tissus, du fait que le sang est devenu plus dense et visqueux. En conséquence, un mécanisme compensatoire se met en jeu. Le rythme cardiaque s’accélère. L’ensemble de ces éléments explique qu’un pilote de formule 1, lors d’un Grand Prix, atteigne sa fréquence cardiaque maximale alors même qu’il est assis dans son baquet et ne mobilise qu’une très petit nombre de muscles. On comprend mieux pourquoi, au départ d’un marathon, le pouls peut taper à 120-130 pulsations/mn alors qu’on est debout, immobile sur place à trépigner en attendant les ordres du starter. Et si on prévoit de courir à 145 pulsations par mn, va-t-il falloir démarrer en marchant ?
- Un dernier facteur de confusion existe. La relation linéaire s’avère intéressante en cas d’effort effectué à intensité constante. On admet, par approximation, qu’à l’occasion d’un exercice comprenant des variations de rythme, comme en compétition ou à l’occasion d’une séance de VMA, cette relation reste valable. Or, il est connu que dès qu’il existe un différentiel, une variation d’intensité, il existe une latence dans l’ajustement des mécanismes aérobies. Cette lenteur de l’ajustement va rendre nécessaires la mise en jeu de processus anaérobies. Même s’ils participent seulement de manière temporaire aux processus énergétiques, on ne sait pas dans quelle mesure ils peuvent fausser cette relation. Or, dans ce contexte-là , l’organisme produit temporairement un surcroît de CO2. Et on sait que cette élévation du taux de dioxyde de carbone dans le sang provoque une accélération du rythme cardiaque (**). Que signifie alors le monitorage du rythme cardiaque dans cette situation ?
  UNE CONFIRMATION SCIENTIFIQUE:
Ces possibles facteurs de confusion, bien que connus du monde scientifique, sont pourtant considérés comme négligeables, au point qu’on continue de proposer aux coureurs de repérer l’intensité de leur effort grâce à la lecture de la fréquence cardiaque. Ce risque d’erreur a suscité la curiosité d’une équipe de chercheurs, qui a voulu y regarder de plus près. Leur travail a consisté à évaluer la marge d’erreur existant lorsqu’on tente de déduire la consommation d’oxygène survenant au cours d’un effort à partir des pulsations (***).
Les auteurs de ce travail ont recruté quinze volontaires de bon niveau athlétique. Ils s’entraînaient en moyenne entre 3 et 5 fois par semaine. Leur VO2 Max moyenne était de l’ordre de 60 ml/mn.kg et leur fréquence cardiaque maximale moyenne atteignait 189 puls/mn. Huit d’entre eux couraient en compétition entre 100 et 800 m. Les autres pratiquaient le 5000 et le 10.000 m. Le premier jour de l’étude, ils passèrent une évaluation en laboratoire. Le test en paliers a permis, pour chacun d’eux, d’établir précisément la courbe traduisant la relation existant entre leur vitesse de course et leur fréquence cardiaque. Ils se rendirent alors en nature pour effectuer, le surlendemain, une séance de VMA.
Ils évitèrent toute prise de caféine lors des trois heures précédant cet effort, de façon à ne pas provoquer d’élévation artificielle du rythme cardiaque.
Ils utilisèrent à la fois un pulsemètre, leur restituant leur fréquence cardiaque toutes les 5 secondes et le K4, appareil léger (moins de 800 g) permettant de connaître toutes les 15 secondes les proportions respectives de CO2 et d’O2 dans l’air expiré. Ce protocole permettait donc de déduire la dépense énergétique estimée (par la FC) et la dépense réelle (avec le K4). Le problème qui se posait était de voir dans quelle mesure un écart pouvait exister entre les deux.
Il est apparu que la consommation d’oxygène véritable était, en moyenne, inférieure de 7% à celle qui était déduite de la fréquence cardiaque. Autrement dit, le recours au cardio-fréquencemètre conduit à surestimer l’intensité de l’exercice fourni. Il est également apparu que les coureurs capables de fournir le plus gros travail en anaérobie étaient ceux pour lesquels l’erreur systématique était la plus importante. C’était notamment la situation des coureurs de demi-fond.
Pour les auteurs de ce travail, la principale explication réside dans les fréquentes variations de rythme adoptées au cours d’une séance de fractionné, ou a fortiori de fartlek. Elles s’accompagnent d’incursions régulières dans le métabolisme anaérobie, comme à chaque fois qu’un effort nécessite un ajustement du débit circulatoire. Cette erreur se rencontrera bien sûr surtout à l’occasion de séances de fractionné court. Sur les sessions de course à allure au seuil, l’erreur éventuelle qui pourra survenir sera plutôt consécutive à la dérive cardiaque, et aux processus de thermorégulation, comme lorsque le travail au seuil se déroule à la suite d’un long échauffement, ou dans une ambiance défavorable (chaleur). Par conséquent, si vous pratiquer ce type de séance, soyez vigilant. Pour tirer profit de l’emploi de cet appareillage, donnez-vous une plage de valeur suffisamment large (environ 10 pulsations entre les deux bornes), et effectuez une sortie au seuil sur deux à la sensation et au chrono, pour passer sans problème d’un système de repère à l’autre… et ressentir quand surviennent les moments où le pulsemètre ne renseigne plus avec assez de justesse.
Pour la VMA, l’allure utile à laquelle il conviendra de courir sera alors déduite des temps de passage, voire des sensations, d’autant que la qualité d’une séance dédiée à la VMA n’est pas uniquement une question de chrono, mais aussi d’aisance, de relâchement, et dépend aussi de l’aptitude à répéter ces efforts avec une fatigue minimale et une récupération cardiaque optimale. De ce point de vue, tous les entraîneurs s’accordent aujourd’hui, aussi bien dans le domaine de la course que d ans celui des autres disciplines (d’endurance ou non), à considérer que la fréquence cardiaque fournit de précieux indices lors des séquences de récupération La vitesse à laquelle le pouls revient vers sa valeur de repos, la régularité du rythme après 5’ de récupération, fournissent de précieux indices quant à l’aptitude du moment qu’a le coureur à assimiler cette séance. Mais de grâce, ne courez plus à 160… Une allure de 16 km/heure, ou un rythme de 3’45’’ au km sont des repères plus significatifs. Laissez à Virenque le loisir d’attaquer dans les cols quand il croit entendre le cardio de ses adversaires se mettent à sonner… alors qu’il s’agit du sien !
Denis Riché
Doctorat en nutrition humaine et
Spécialiste français de la micronutrition
(*) : MORTON RH, FITZ-CLARKE JR & Coll (1990) : Modelling human performance in running. J.Appl.Physiol., 69 :1171-7.
(**) : MAGOSSO E, URSINO M (2001) : A mathematical model of CO2 effect on cardiovascular regulation. Am..J.Physiol., 281 : 2036-52.
(***) : CRISAFULLLI A, PITTAU G & Coll (2006) : Poor reliability of heart rate monitoring to assess oxygen uptake during field training. Int.J..Sports Med., 27 : 55-9.
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