ETUDE SUR LE PROCESSUS DE REHABILITATION PSYCHOLOGIQUE D’ATHLETES DE HAUT NIVEAU BLESSÉS EN ATHLÉTISME (Du 100m au 5000m) – (Première partie)
Après avoir étudié de nombreux articles sur l’approche psychologique de la blessure sportive, j’ai pu relever plusieurs stratégies d’ordre mentales offertes aux sportifs blessés. Ces techniques peuvent faire références au soutien social, à l’imagerie mentale, à la fixation d’objectifs, au maintien d’une activité sportive. Elles ont pour but d’optimiser leur réhabilitation. Certains articles ont révélé également l’implication minime de certains entraîneurs dans la réhabilitation psychologique de la blessure. Parmi ces articles j’ai pu constater qu’une minorité concernait le milieu de l’athlétisme. Il m’est semblé alors intéressant de m’interroger si leurs dires concernaient également ce sport et plus précisément la course à pied (100m au 5000m).
Avec Nadine Debois (responsable du laboratoire du département de psychologie de l’INSEP), nous avons fait une étude qualitative sur un échantillon de treize athlètes de haut niveau de l’INSEP. S’inscrivant dans une perspective d’aide à la performance, cette présente étude avait pour objet d’identifier leurs réactions psychologiques et de répertorier les stratégies d’ordre psychologique utilisées dans la réhabilitation. Enfin, cette étude avait pour but de nous éclairer sur la considération des athlètes de haut niveau vis-à -vis des habiletés mentales.
Ainsi, d’un point de vue scientifique, cette étude a mis en exergue la compréhension des réactions des athlètes de haut niveau en demi-fond et en sprint en athlétisme, ainsi que les stratégies d’ordre psychologique adaptées au mieux selon leurs individualités, leurs singularités, et leurs entités. Ce qui nous a conduit d’un point de vue pratique, à offrir à l’entraîneur la possibilité de diriger ses athlètes blessés selon leur besoin vers les habiletés mentales appropriées pour une réhabilitation plus rapide d’un sportif blessé. L’entraîneur aura également la possibilité de mettre en œuvre ses stratégies mentales. Il pourra alors les soutenir et limiter la régression de leur capacité physique ainsi que leur perte d’identité.
Résumé de l’étude :
Treize sportifs de haut niveau national et international en athlétisme (demi fond et sprint), âgés de 19 à 31 ans (m = 23.92 ; σ = 3.91) ont participé à cette étude. Sept étaient des demi-fondeurs spécialistes de 800m seulement (n = 4) ou 800/1500m (n = 2) ou 3000/5000m (n = 1). Six filles étaient des sprinteuses spécialistes de 100m (n = 1) ou 400m (n = 4) ou 400m Haies (n =1). Les Caractéristiques du choix des participants a été qu’ils ont tous été blessés au cours de leur carrière sportive. Leur blessure les a arrêtés totalement un à huit mois. Leur blessure datait de six mois à 10 ans. Mais, étant de haut niveau, ils se rappelaient parfaitement de tout ce qui était en rapport avec leur blessure (moment, ressenti, traitement…)
Il est à noter que la limite principale de cette présente étude a été ce petit échantillon d’athlètes.
Dans cette présente étude, nous avons utilisé la méthode qualitative dans une approche exploratoire et rétrospective. Cette démarche a consisté à faire passer des entretiens semi-directifs auprès de ces sportifs après avoir été blessés afin qu’ils soient plus objectifs dans leurs témoignages. Ils ont été conduits à partir d’un guide pré-établi invitant le sportif à reconstruire son expérience de la blessure dans les situations d’entraînement ou de compétition, ou encore dans sa vie extra sportive, et de décrire les stratégies mentales (soutien social, fixation d’objectif, maintien d’une activité physique…) éventuellement mises en Å“uvre. Ce guide invitait dans un premier temps l’athlète à une description générale de sa carrière (âge de commencement, évolution des performances, principaux résultats, perspectives, volume d’entraînement). Dans un second temps, l’athlète relatait la description de sa blessure (type de blessure, comment elle est survenue, la période où elle est apparue, le temps de convalescence, si c’était la première et si elle avait pu être anticipée). Ensuite deux axes d’explicitation ont été abordés : (1) une explicitation relative au vécu de la blessure (états affectifs et émotionnels, attitude de l’entourage, comportements, pratique de stratégies mentales, soins, description d’une période clé de la convalescence) et, (2) une explicitation relative au contraste du vécu d’une autre blessure. Enfin, l’entretien se terminait par des questions plus générales invitant dans un premier temps l’athlète : (1) à donner des conseils à un blessé, (2) à réfléchir sur ce à quoi il n’a pas eu recours pour se rétablir plus vite, et (3) à développer son opinion sur l’importance des stratégies mentales dans la réhabilitation de la blessure.
Après l’enregistrement des entretiens, l’analyse inductive a été mise en œuvre. Elle est marquée par trois phases : (1) la retranscription verbatim des données, (2) la relecture et l’analyse des informations et, (3) le regroupement les différents éléments d’informations en catégories.
Cette procédure nous a permis de retenir plusieurs résultats que nous avons pu répertorier dans quatre catégories. Quatre périodes de la blessure ont été distinguées correspondants à des éléments descriptifs (1) des réactions à la survenue de la blessure, (2) de la période de réhabilitation (i.e., comportements adoptés, vécu affectif, perception du contexte environnemental), (3) de la période de reprise et, (4) de l’impact différé de la blessure.
Lors de la première période, la survenue de la blessure, la majorité des athlètes a déclaré avoir ressenti des états affectifs négatifs liés au stress, au découragement, à la culpabilité, à la colère et à la sensation de mal-être. Parmi les athlètes qui ont décrit avoir ressenti ces sentiments, certains ont déclaré que le moment où est apparue la blessure a joué un rôle. Ils déclarent que la blessure est plus dure à accepter selon la période où elle se manifeste. Ces athlètes ont décrit s’être blessés soit au pic de leur forme, soit en amont ou lors de leur période compétitive. Ils décrivent que la blessure est plus difficile à surmonter si elle est proche des championnats. Pour la majorité, les grands championnats se déroulent durant la saison estivale donc cette saison est traduite plus difficile à gérer que la saison hivernale.
Ensuite dans la période de réhabilitation, les états affectifs ont évolué tandis que les affects négatifs ont diminué. Le sentiment prédominant de ces affects est la peur de perdre son niveau. Malgré ces états affectifs négatifs, la totalité des athlètes ont déclaré avoir ressenti des sentiments positifs liés principalement à la motivation de revenir et à la relativisation. Lors de cette période, les comportements adoptés et retenus par la majorité des athlètes sont l’importance des soins (implication, respect des consignes, écoute de son corps), l’entretien physique, et la recherche de distraction.
Comme ils le déclarent, l’entretien physique leur permet de conserver leurs qualités physiques et d’être mieux psychologiquement car ils sont habitués à s’entraîner bi-quotidiennement.
Parmi ceux qui ont entretenu leurs capacités physiques via des activités de substitution, la majorité déclare que leur entretien s’est révélé minime (musculation, gainage, abdominaux), mais pour d’autres (essentiellement les demi-fondeurs), il était plus approfondi (aquajogging, vélo).  En parallèle, ils décrivent la blessure comme une opportunité de faire des activités extra sportives qui n’ont pas l’occasion de faire souvent en tant que sportifs de haut niveau, tout en respectant leur hygiène de vie. En revanche, ces résultats ont mis en évidence que la minorité des athlètes utilisent la stratégie de fixation d’objectif, la stratégie d’engagement et la stratégie de dynamique d’entraînement (rester dans le groupe sans néanmoins pratiquer). Ils déclarent que maintenir une dynamique d’entraînement leur rappelait le retard qu’ils entreprenaient ou le fait de ne pas pouvoir pratiquer. On constate alors que ce maintien dans la dynamique d’entraînement ne se fait pas spontanément par les athlètes blessés.
Lors de cette période de réhabilitation, la totalité des athlètes blessés déclarent avoir reçu du soutien social. Les soutiens les plus soulignés par les athlètes par ordre décroissant sont celui de l’entraîneur, les pairs, la famille, le kinésithérapeute et autrui. 85% des athlètes blessés décrivent l’entraîneur comme une personne faisant partie de leur vie quotidienne à l’entraînement et hors de l’entraînement. En revanche, 53% des athlètes ont décrit avoir ressenti l’absence du soutien social soit de la famille, des pairs, du kinésithérapeute et/ou d’anciens blessés. L’absence de soutien le plus souligné par les athlètes par ordre décroissant est celui de la famille, des pairs, d’anciens blessés, et du kinésithérapeute. Ce manque de soutien est décrit par les athlètes comme une incompréhension de la part de la famille, des pairs et du kiné.
Il est à noter que les athlètes ont perçu le support médical comme un rôle primordial dans la réhabilitation. Ils ont déclaré l’importance des soins, de la compétence de l’équipe médicale, et des informations médicales sincères relatives à la date de reprise et au diagnostic. Relatif au support médical, certains sportifs ont regretté de ne pas avoir bénéficié de tous les soins médicaux nécessaires en vue de leur réhabilitation notamment au niveau de la psychologie.
Lors de leur période de reprise, les états affectifs des athlètes ont davantage évolué depuis la période de réhabilitation. Les états affectifs négatifs sont redevenus prédominants. Les affects positifs ont diminué de moitié. Cette évolution négative des états affectifs positifs s’explique en particulier par leur difficulté à reprendre leur activité. Ces résultats mettent en évidence la période difficile de la reprise. Les athlètes ont déclaré que le soutien social continue à jouer un rôle primordial lors de cette période.
Enfin, lors de la dernière période, les athlètes ont déclaré avec du recul que la blessure n’a pas été seulement néfaste. La majorité des athlètes ont retenus des conséquences bénéfiques relatifs aux éléments corporels (la régénération et à l’écoute corporelle), relatifs aux éléments motivationnels (être plus motivé et accepter les difficultés de l’entraînement) et relatifs à la performance (record battu). Malgré ces incidences positives, quelques athlètes ont souligné les impacts négatifs de la blessure relatifs à la perte de niveau, de temps et de poids.
Amandine LE CORNEC-BOUTINEAU
Entraîneur diplômé FFA
Titulaire d’un Master 2 Recherche et Professionnel
« Ingénierie de l’entraînement
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