" Si courir ou marcher était notre seul but, nous passerions à côté de moments inoubliables "

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QUOI MANGER ET QUAND ? par Denis Riché

L’émergence assez médiatisée d’un nouveau courant « diététique », la « chrononutrition », suscite de plus en plus d’intérêt au sein des coureurs. Beaucoup se demandent si, selon le moment de la journée où ils choisissent de les avaler, les aliments auront toujours le même impact sur leur corps. Réponse…

RYTHME INTERNE ET FACTEURS ENVIRONNEMENTAUX :

chrononutrition 11La « chrononutrition » emprunte beaucoup à une science authentique, plus ancienne qu’elle, qui se nomme la « chronobiologie ». Celle-ci a été initiée à la suite d’observations toutes simples ; les fonctions de notre corps ne se déroulent pas de manière constante au cours de la journée. Ces fluctuations sont parfois perçues de tous. Ainsi, la veille succède au sommeil au cours de la journée. Pour simple qu’elle paraisse, cette alternance est pourtant déterminée de manière assez complexe. Elle dépend à la fois d’une horloge interne, inhérente à chacun de nous, qui détermine un cycle immuable, et d’autres agents de synchronisation « externe». Ce sont ceux que les physiologistes nomment les « Zeitgeber » (donneurs de temps).
Il va s’agir  par exemple de l’alternance du jour et de la nuit. Les deux types d’influences, au final, conjuguent leurs effets pour aider l’homme à ajuster ses propres rythmes aux contraintes de l’environnement.

D’autres fonctions répondent à cette règle de la rythmicité. Certaines concernent notre métabolisme et notamment la libération séquentielle des hormones. Cela se traduira par une succession de phase d’anabolisme (ou synthèse), largement dominées par l’insuline, et par d’autres plutôt orientées vers le catabolisme, à distance de la prise des repas, plutôt sous l’influence des catécholamines et du cortisol. Ces deux orientations ne sont pas compatibles. Autrement dit, à chaque fois que l’organisme libère de l’insuline, la mobilisation et l’utilisation des graisses sont interrompues. Plus l’insuline est présente, plus on risque de stocker et moins on utilise les graisses. Bref, au mieux on stagne. Ces contrôles hormonaux peuvent évidemment influer de manière conséquente sur notre poids.

Des auteurs ont approfondi la question de ces rythmes et leur implication dans la surcharge pondérale. Cela a nécessité d’étudier la manière dont, indépendamment des repas, des stress ou de l’activité, leurs taux varient. C’est sur la base de ces rythmes de base, à l’origine de discrètes fluctuations, que reposent certains des principes de la « chrononutrition ». L’idée serait d’éviter de manger des aliments propres à favoriser le stockage au moment où l’insuline est au maximum de sa valeur basale. Nous ne développerons pas trop ces notions, car ce ne sont pas tant elles, au final, qui gouvernent les phases de mise en réserve ou de mobilisation de l’énergie, chez le sportif, que le fait qu’on vienne ou non de faire du sport. Je m’explique. L’objectif de la chrononutrition est d’éviter d’apporter des sucres quand l’insuline culmine. Chez un sédentaire, en effet, cela aboutirait à une fabrication de gras. Cette crainte est plus ou moins fondée. Ce sont surtout les élévations durables ou chroniques qui vont se traduire par une captation préférentielle par le tissu adipeux du sucre circulant, qu’il transformera en sucre. Ainsi, lorsque le pic est peu élevé et l’apport de sucre modéré, le risque de voir ce phénomène se produire décroît.

De plus, l’utilisation de ce sucre apporté par l’alimentation, chez un coureur entraîné, n’a rien à voir avec celle qu’on constate chez un sujet sédentaire. En raison des adaptations survenant en réponse à l’entraînement, le muscle est placé en tête de la hiérarchie. Cela se traduit par deux effets :

–          au repos le muscle capte davantage de sucre et le convertit aisément en « super ». Le tissu adipeux est moins apte à transformer le sucre en graisses, et ce 24 heures sur 24, tant que le sujet garde un statut de sportif authentique.

–          Juste après une séance, l’avidité du muscle est encore plus visible. Chez des sujets ayant épuisé leur glycogène et adoptant ensuite un régime hyper glucidique pendant 3 jours (comme avant un marathon), seulement 3% de cet apport glucidique réalisé en 72 heures est converti en graisses (travaux d’Acheson en 1992). Et cela reste vrai quelle que soit l’heure à laquelle les pâtes, les tartes ou le pain ont été avalés.

Ces travaux ont surtout porté sur des individus très jeunes (25 ans), population de plus en plus rare dans nos pelotons. Et çà change tout. En effet certains coureurs, surtout après 40 ans, peuvent présenter un trouble du métabolisme (concernant 40% des plus de 45 ans), qui se manifeste par une modification de la hiérarchie précédente. A l’exception des heures immédiatement situées après une séance (d’une à six heures selon le registre d’intensité de la session effectuée), le risque de convertir les sucres en graisses s’avère important. Chez ces sujets porteurs d’un « syndrome métabolique » (ou appelés à le présenter quelques années plus tard), il n’y a plus de « sucres rapides », ni de « sucres lents ». Seulement des sucres. Alors comment faire ? Pour répondre à cette question, il nous faut aborder encore un aspect du problème.

UN PROBLÈME DE DURÉE :

chrononutrition 1Pour faire simple, on schématisera les processus de stockage ou de libération de l’énergie ainsi : Deux étapes se succèdent. La première est  celle de la mise en réserve (« marée haute »), accompagnée d’une libération d’insuline plus ou moins importante. Le point important de cet état est celui-ci : Son action dure plusieurs heures, durant lesquelles mobiliser les graisses devient très difficile, sinon impossible.
Plus on mange de glucides à un repas, et plus le « terrain » métabolique est défavorable, plus le « verrouillage » de l’utilisation des graisses sera durable. Dans ces conditions, pas moyen de maigrir !

A l’inverse, pour libérer et utiliser les graisses de réserves, il faut (« marée descendante ») que l’insuline ne soit pas libérée. A part chez certains footeux, piliers de boîtes de nuit, cette absence d’insuline survient la nuit (ou le matin chez ceux ou celles qui travaillent en nocturne). Considérons un sujet qui a du mal à perdre du gras. Indépendamment des problèmes de déficit pouvant y participer, et qu’il faudrait résoudre, on peut logiquement considérer que les phases de marée descendante, chez lui, sont trop courtes. Il convient alors de prolonger leur durée. Comment ? Deux options existent. Elles diffèrent sur le plan des choix possibles, mais elles sont équivalentes sur le point suivant : Eviter toute source de sucre (fruit, sucre, pain, féculent) lors d’un des repas proche de la nuit, soit avant (soir), soit après (matin). Dans l’absolu, chez un sujet non sportif, on propose soit un petit déjeuner riche en protéines, soit un repas du soir sans glucide (cinq soirs par semaine). Repas du midi libre et équilibré dans tous les cas.

Chez un coureur, on combinera cette stratégie avec l’effet propre de l’exercice.  Idéalement, en courant le matin, on peut proposer un petit déjeuner équilibré, un déjeuner apportant un ensemble d’aliments, mais pourvu en glucides qui, dans ces conditions, vont être captés principalement par les muscles pour restaurer ses réserves. Vers 17 h, collation avec fruits et/ou sucre. Ensuite on passe à marée descendante : crudités, avocat, noix, amandes, guacamole, poisson ou volaille, légumes, fromage ou yaourt nature (et éventuellement un verre de vin). Pas d’insuline au repos : perte de masse grasse assurée !

Si le coureur court le soir, on proposera ce jour-là un petit déjeuner pauvre en glucides : jambon ou œuf ou fromage, noix, noisettes, amandes, yaourt, pour rester à marée descendante, déjeuner et souper libres, le dernier repas, idéalement, comprenant cependant un peu de glucides que celui de la mi-journée.

Le jour où il ne s’entraîne pas, le coureur choisira l’option qu’il veut, celle du petit déjeuner sans glucides ou  celle du souper à marée descendante. L’une n’est pas meilleure que l’autre ; tout dépend de son organisation de vie, de ses habitudes, de sa dynamique familiale.

IL N’Y A PAS QUE LE POIDS :

Ces notions de chronologie ne concernent pas que ceux qui veulent perdre du gras. En effet, aucune molécule présente dans notre organisme ne nous tombe du ciel. Toutes sont fabriquées à des moments précis de la journée, qu’on a identifié pour quelques constituants importants. Cela implique qu’on cherchera, dans la mesure du possible, à amener certains nutriments impliqués dans ces voies chimiques, de façon à ce qu’ils puissent se révéler efficaces au bon moment. Sur cette question, les éléments avérés, en 2007, sont finalement moins nombreux que ce que certains écrits suggèrent. Mais n’en sont pas moins intéressants :

Il est possible d’optimiser les apports nutritionnels susceptibles de limiter l’expression de manifestations douloureuses lors de l’arthrose, grâce à la consommation d’acides gras de la lignée « oméga 3 » le soir, afin de diminuer la synthèse de certaines molécules (de la famille des « prostaglandines ») responsables de la sensation douloureuse.

–          On peut jouer sur la synthèse du cholestérol. Rappelons que 85% de celui qu’on trouve dans le sang résulte d’une synthèse endogène, réalisée à partir de constituants simples de notre ration, sucres et graisses. Or, cette synthèse comprend plusieurs étapes, toutes faisant appel à un enzyme distinct. L’une de ces étapes est qualifiée de « réaction clef ». L’enzyme qui la gouverne peut faire l’objet d’une régulation par des apports alimentaires. Cet enzyme répond au doux nom de HMG-CoA réductase (cible des médicaments appelés les « statines »). Elle passe par un maximum d’activité en début de matinée. Un verrouillage physiologique peut être réalisé par le biais d’un apport alimentaire de cholestérol  au petit déjeuner. Cela permet de freiner cette synthèse. Autrement dit, beurre, saucisse, oeufs ou fromage au saut du lit vont protéger vos artères. Étonnant, non ?

–          On peut encore optimiser les apports des précurseurs, des neurotransmetteurs (ces molécules actives dans notre cerveau) en fonction des moments de la journée où leurs synthèses se déroulent. Par exemple fournir des sources de tyrosine (acide aminé présent dans les produits d’origine animale) le matin, pour fabriquer la dopamine et la noradrénaline. Ou délivrer des aliments riches en tryptophane le soir, cet acide aminé, abondant dans les légumes secs, permettant alors une synthèse plus efficace de la sérotonine ou de la mélatonine, ce qu’on mettre avec profit dans une discipline comme le tennis, où en une saison un joueur pro traverse pas moins de 120 fuseaux horaires, ou en présence d’un marathonien exposé, dans le cadre de son travail, aux contraintes horaires des 3 x 8, et pour qui s’entraîner, récupérer et manger comme tout le monde constitue un authentique défi. Sans manger avec un chrono, on comprend que le respect de ces quelques notions simples, scientifiquement validées, peut tout bêtement vous changer la vie. Le temps peut jouer pour vous !

Portrait Denis Riche 4

Denis Riché
Doctorat en nutrition humaine et
Spécialiste français de la micronutrition

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